top of page

philippe jaccard EN FR

Philippe Jaccard, artiste autodidacte, est né 1957 en Suisse. Il arrête l’école après son certificat d’étude primaire. Après diverses tentatives d’apprentissage et de petits travaux (de la plonge à la boulangerie), il intègre (grâce aux relations de sa mère) la police municipale de Genève. Une seule passion l’anime, la peinture. Il lui arrive d’abandonner son poste, pour, en uniforme, rejoindre son appartement et peindre. A l’âge de 35 ans, l’état de grande dépression qui est le sien depuis son adolescence, s’aggrave et amène l’administration Suisse à classer son cas en incapacité de travail définitif. Philippe Jaccard vit depuis grâce aux indemnités liées à son état de santé qui lui permettent de se consacrer totalement à la peinture.

 

On ne trouve rien, ou quasiment rien, sur le web à propos de Philippe Jaccard. En quarante ans de peinture, il n’expose que six fois. Il n’a pas d’ordinateur et n’utilise ni internet ni les réseaux sociaux. Il aurait pu être moine, vivre loin du monde et se consacrer à sa peinture. Il y pense encore : "Ils ont de grands espaces dans les monastères, je pourrais y peindre sans être dérangé". Il dit que la peinture l’a sauvé de l’hôpital psychiatrique.

 

La solitude est omniprésente dans l’œuvre de Philippe Jaccard, une solitude d’apparence sereine, apaisante, dépouillée de toute sophistication autre que celle d’une sensualité, à la fois profonde et légère, existentielle, de l’acte pictural. "Avec l’âge on se dépouille de toutes choses" dit-il. Retour à l’enfance : la maison, l’arbre, la silhouette. Représentés comme le ferait un enfant, sans ambages.

 

Et depuis toujours, un nombre sans fin d’autoportraits. Pourquoi ces autoportraits ? Quand on lui pose cette question Philippe commence sa réponse comme bien d’autres : "C’est comme ça, je ne sais pas"… puis il dit : "Tu te lèves, tu t’habilles, tu marches : ce sont des autoportraits. Tout ce que tu fais dans la vie, c’est toujours des autoportraits".

 

"C’est beau" me dit Philippe Jaccard à chaque fois qu’il me montre l’une de ses petites peintures sur papier A4. "C’est beau" ne cesse-t-il de me dire à chaque nouvelle image offerte à mon regard. "C’est beau"… Devant certains autoportraits, il ajoute : "C’est émouvant". Sa façon de l’exprimer est d’une sincérité désarmante, comme ces simples sentences propres à la petite enfance qui assignent ce qui est perçu comme un état de fait et ne laissent place à aucun commentaire. "C’est beau"… "On m’a déjà reproché de dire trop souvent : c’est beau. Mais pourquoi ne pas dire ce qui est".

 

Depuis qu’il a découvert cette technique de la peinture à l’huile sur papier A4 il y a trois ou quatre ans, Philippe Jaccard en réalise plusieurs par jours. Elles sont toutes d’une beauté désarmante. Le terme sied à l’œuvre. Il semble s’agir réellement de désarmer la souffrance profondément inscrite en lui. De pacifier la douleur. Un rituel de rédemption.

 

Hervé Perdriolle, septembre 2023

 

 

Confidences – 2023-2024

 

Notes I

 

Durant un voyage à Paris dans le but d’organiser une rencontre avec Philippe Jaccard et un marchand d’art brut, je constate que Philippe consomme peu. Au café, il ne commande rien, il a encore sa bouteille d’eau qu’une fois vide, il remplira en prévision du retour. De fait, Philipppe ne dépense presque rien pour son quotidien. Cependant, quelques semaines auparavant, il me missionne pour lui acheter du matériel de peinture à Bruxelles, chez Schleiper l’un des magasins pour artistes les mieux achalandés d’Europe. Philippe Jaccard achète depuis toujours exclusivement le meilleur matériel (pinceaux, papiers, peintures à l’huile) de fait, le plus cher. Je n’ai pas connu à ce jour (plus de 40 ans que je côtoie des artistes) d’artistes dépensant autant pour son matériel. De surcroit en exposant et vendant si peu. "C’est important la qualité du papier, de la toile, des peintures, pour la durée. C’est bien aussi pour les gens qui achètent". Paradoxe : Philippe Jaccard, pour lequel le temps, la durée, la longévité semblent si important attache une importance toute relative à l’avenir de ses œuvres qu’il donne parfois au premier venu.

Notes II

 

 

 

Notes III

 

Les peintures sur papier faites le matin du 24 août 2023 sont censées représentées des mourants qui se transforment toujours en fœtus. "En fait, c’est que je peins depuis toujours. Mon œuvre est fœtale. On m’a dit que je n’étais jamais sorti du ventre de ma mère. La naissance, la mort, la vie est comme un cercle sans fin. Peut-être que si Dieu existait, il aurait la forme d’un rond".

 

 

Notes IV

 

Je reste subjugué par la simplicité et la spontanéité des huiles A4 de Philippe Jaccard. Nombre de grands artistes, de Klee à Picasso, ont loué et essayé de retrouver l’effarante liberté des peintures d’enfants, de la petite enfance, avant que ceux-ci ne soient formatés par un début d’éducation. Ce qui intéresse Philippe Jaccard n’est pas d’être exposé, d’être reconnu, de plaire, ni même de vendre (si ce n’est pour perdurer, vivre et acheter du matériel de peinture) mais seulement et simplement de faire. En cela, sans doute, il retrouve cette magie, cette gratuité, de la petite enfance où il s’agit seulement et simplement de peindre sans autre but ni finalité.

 

Gratuité, c’est peut-être le terme qui sied pour mieux approcher et comprendre la prodigieuse présence des peintures de la petite enfance. Ne rien attendre en retour, faire, dessiner, peindre. La gratuité comme synonyme de spontanéité.

 

L’enfant n’attend rien en retour des premières peintures qu’il fait, l’esthétique et la ressemblance n’ont rien à faire là, peut-être juste une forme d’amusement, de surprise, d’émerveillement. Il est clair que Philippe Jaccard est tout simplement émerveillé par ce qu’il peint, un émerveillement parfois teinté d’effroi lorsque certaines de ses peintures sont particulièrement sombres.

 

Notes V

 

Philippe Jaccard n’a jamais lu un livre : "Je n’arrive pas à me concentrer pour lire un livre en entier". Quelques temps plus tard, il me confie : "Il y a des bibliothèques de partout. Le monde est plein de livres, des millions de livres… et le monde est toujours le même, toujours aussi absurde, insensé".

 

Notes VI

 

Philippe Jaccard ne peint que ce qui est proche de lui : sa chaise, son fauteuil, des compositions florales que lui prête quotidiennement le fleuriste en bas de chez lui, souvenirs de paysage, portraits de quelques rares amis et un nombre sans fin d’autoportrait. Philipe a peint et dessiné sans relâche sa chaise, parfois un fauteuil, sans doute celui qu’il avait en Dordogne. Je lui fais remarquer que l’une des peintures les plus célèbres de Van Gogh représente sa chaise qu’il a également peinte à de nombreuses reprises. Il en est surpris et me dit ne pas en avoir connaissance sans autre commentaire que cet étonnement.

 

Notes VII

 

Philippe Jaccard dit ne rien connaître de l’histoire de l’art, et je le crois. Pourtant ses œuvres, quasiment toutes ses œuvres, portent les stigmates de cette histoire. Ses toiles sont comme des linceuls qui, déposés sur le corps de l’histoire, sont imprégnés d’un nombre infini d’évocations picturales que nous, regardeurs aguerris, ressentons, percevons, connaissons. Étrange sentiment que de voir ce qu’il ne voit pas, bien que nous regardions les mêmes choses, les mêmes œuvres.

 

Philippe Descola, anthropologue dont la thèse fut dirigée par Claude Lévi-Strauss, propose une redéfinition de l’image, naturellement des objets ethnographiques mais aussi de la peinture classique, moderne et contemporaine. Pour lui, l’image ne se réduit pas à une simple représentation, elle fait, elle agit (à la manière des amulettes, talismans ou icônes qui sont censés guérir ou protéger).

 

En ce sens, l’on peut imaginer que chaque peinture de Philippe Jaccard revêt les vertus d’un talisman.

 

Chaque peinture semble être pour Philippe comme la manifestation profane d’une épiphanie, une simple et évidente révélation apaisante, salvatrice.

bottom of page